“On vit dans une société qui exacerbe nos fantasmes”, par le Grand Rabbin Joseph Sitruk ztsl – en

On vit dans une société dans laquelle on va exacerber nos fantasmes, on nous présente sans arrêt toutes sortes d’images. Je vais vous raconter quelque chose de très simple.

Parmi mes élèves, il y en a un que j’aime beaucoup, comme tous mes élèves mais que je connais un peu mieux et qui est dentiste. Lorsque j’ai dû me rendre à son cabinet pour des soins dentaires, il avait affiché sur un de ses murs de son cabinet une photo d’une très jolie fille, dont le visage était par ailleurs très pur, très beau. Je lui ai demandé qui c’était. Il m’a répondu :”Rien ! J’ai trouvé le visage de cette fille très belle. Et puis je l’ai découpé dans un magazine et je l’ai mise là”. Je lui ai demandé de l’enlever. Pourquoi ? Me demande-t-il. Je lui ai dit :” Parce que c’est elle qui t’empêche de connaître ta femme !”. Je lui explique : “Tu fantasmes sur cette fille. Tu imagines une femme et tu as besoin de ta femme. On ne substitue pas un visage à un autre. Chaque fois que tu regarderais une fille, tu verras la fiche de ton cabinet. Ce n’est pas comme ça qu’on se marie”. Alors là, c’est une photo. Je crois qu’il y a beaucoup de garçons qui restent très vieux garçons parce qu’ils ont épinglé des photos dans leur tête et que finalement, imaginer quelqu’un d’autre que celle que l’on doit voir avec des yeux neufs parce qu’elle sera sa femme, ça me paraît être tout à fait nécessaire comme procédure préalable à un mariage.

Pour continuer sur cette image, si j’ose dire, dans un rapport intime entre époux, c’est la même évacuation qui doit avoir lieu. L’homme doit essayer d’éviter toutes sollicitations extérieures de la vie pour ne pas imaginer qu’au moment de cette intimité suprême, il se trouve être avec quelqu’un d’autre. Or, le rapport pour la tradition juive commence déjà dans la tête. Je dirais même que sans elle, il n’existerait pas. Le rapport, ce ne sont pas deux corps qui s’unissent, c’est deux êtres qui s’unissent. Un être, c’est d’abord une dimension cérébrale.

La racine même de l’envie, du désir, du plaisir, de la satisfaction, de la plénitude se trouve dans des fonctions cérébrales et pas du tout dans des satisfactions purement mécaniques. Or, les images dont on nous couvre partout, aujourd’hui plus que jamais. On est dans la civilisation du visuel. On nous montre tout et on nous montre trop et on nous montre autre chose que ce que nous voulons être. Le risque de tout individu, c’est de s’assimiler aux images qu’on lui montre.

Je crois qu’une évacuation mentale, qu’une sorte de purification intérieure doit s’effectuer chez l’être humain qui veut trouver dans le rapport avec son épouse, avec son mari, la kedousha, la dimension de la pureté nécessaire. Cette sainteté voulue par la Torah dans l’union avec l’épouse, n’exclut absolument pas le plaisir. Elle n’exclut absolument pas la plénitude physique. Nous l’avons déjà dit, et je le répéterai jamais assez. Ne croyez pas que la Torah soit un système ni d’abstinence, ni de privation. Qu’elle nous frustre, au contraire. Je vous l’ai déjà dit et je le répète, elle nous apprend à aimer.

L’une des maladies de notre temps, c’est celle-là. Il faut avoir le courage de la désigner du doigt, de l’évacuer pour comprendre que la vraie dimension de l’Union réside dans un acte qui est pensé, qui est voulu, qui est conscient. Et je ne viens pas dans ce monde-là avec tous mes antécédents. Autrement, je ne m’en sors jamais.

Nos maîtres vont même beaucoup plus loin dans la Guemara. Ils disent que cette attitude, si vous voulez, d’un rapport multiple au niveau du mental, a des effets catastrophiques sur l’enfant qui va naître, même avec un risque de perturbations psychologiques majeures. La Guemara énumère neuf cas de types d’enfants qui peuvent avoir à terme des problèmes de désorganisation mentale provenant de l’état d’esprit des parents au moment de leur union. C’est à dire que la Torah n’a pas seulement essayé de qualifier le rapport comme devant s’effectuer dans une certaine atmosphère de sérénité, d’intimité, de pudeur. Mais elle a dit aussi qu’il doit y avoir la même dimension au plan mental et que réussir à véritablement s’unir mentalement, c’est faire communiquer nos âmes suivant la belle expression du Talmud. Et ceci n’exclut pas cela.

On n’a jamais dit que communiquer par les âmes, c’est négliger le corps. Simplement, le risque du corps, on le sait, c’est qu’il est envahissant. C’est qu’il se met devant, sur la scène de l’histoire, qu’il occulte les autres dimensions de l’être humain. Je perçois quelqu’un par son corps. Croyez-vous que je me donne le temps, le mal en général d’aller connaître les gens jusqu’au bout ? C’est déjà très dur de situer un individu psychologiquement. On en est qu’au deuxième stade de la connaissance de l’autre. La Torah nous dit qu’il y a encore beaucoup plus loin, qu’il y a encore une démarche intellectuelle, et ça, tout le monde l’aperçoit. Mais il y a une démarche aussi spirituelle ultime.

Il y a une équation antérieure qui est beaucoup plus grande, qui est beaucoup plus importante et qui est la façon de réagir aux événements de la vie. Ce que l’homme est véritablement. Or, c’est à tous ces niveaux là que se situe l’union quand on se marie.

Un vrai mariage réussi, ce n’est pas partager son corps, ce n’est pas faire un contrat psychologique pour éviter de se battre. Il y a des couples qui sont en paix mais qui ne connaîtront jamais la plénitude.

Ce n’est pas parce qu’on se bagarre, pas qu’on s’aime. Je dirais même que c’est le contraire. Pour s’aimer, il faut se bagarrer un peu. L’affrontement ne signifie pas la mésentente, l’échange un peu vif d’idées. Les idées différentes sur tous les sujets n’ont jamais appauvri l’amour. Peut-être même qu’ils l’ont développé.